Il pleuvait.
Assise contre l’un des arbres du sous-bois attenant au parc du dojo, Morgana regardait tomber la pluie en affûtant la lame de sa naginata, son pull noir gorgé d’eau et sa jupe blanche tachée de terre ne semblant pas la déranger autre mesure.
Une fois sa lance devenue aussi coupante qu’un scalpel, la jeune fille la fit disparaître dans un claquement de mains et ferma les yeux en laissant aller sa tête en arrière contre le tronc rugueux de l’arbre. Elle resta ainsi quelques longues minutes, savourant le doux son des gouttelettes éclatant au contact du moindre obstacle et s’évanouissant dans le sol en un agréable tintement qui résonnait à ses oreilles comme la plus douce des musiques.
Son instant de calme fut interrompu par le son d’un battement d’ailes mouillées annonçant l’arrivée de Sakuko, et avec elle son habituel ordre de mission. Machinalement, Morgana tendit le bras pour accueillir le corbeau, qu’elle caressa sur la tête au moment où il se posa. N’étant pas d’humeur à faire la discussion, elle saisit l’ordre de mission qui lui était adressé et fit un léger signe de la main pour signifier qu’elle n’avait pas envie que Sakuko s’attarde.
Le papier renfermant l’ordre était trempé, mais l’encre n’avait pas encore bavé. La jeune fille le déplia et lu les informations qui l’accompagnaient, avant de tourner les yeux vers la photo de sa proie. Un simple président à assassiner. Rien de très dur pour elle. Mais le contexte dans lequel elle devait le faire partir pour son dernier voyage la faisait grincer des dents. Elle se releva et réduisit les documents en une bouillie de cellulose après en avoir appris les moindres détails.
…
Morgana ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam cette jeune Yukino Shinka. Mais à côté de cet homme en costume trois pièces, elle lui semblait familière, car si semblable à toutes les gamines qui arpentaient les rues de Shibuya, avec leurs habits criards, leurs marques mises en évidences et leur portable qui réfléchissait plus de lumière que tout les néons du quartier. Des gamines à peine plus vieilles que Morgana, qui les méprisait au plus haut point. Pour elle qui avait perdu son innocence dans des circonstances des plus glauques, le fait de voir ces filles la vendre pour un argent dont elles n’avaient que faire la rendait presque malade.
Postée sur le toit du Love Hotel dans lequel sa cible et son accompagnatrice venaient d’entrer, la jeune fille préféra se sortir de son observation de ces jeunes écervelées pour vérifier une dernière fois l’armement qu’elle avait pris avec elle, et qui se résumait à sa naginata, plusieurs éventails de kunai et de shikis, plus une mallette en cuir noir fermée à clef. Voyant que tout était en ordre et qu’entre sa quatrième et sa cinquième vérification aucun de ses projectiles n’avait disparu, Morgana mit en place une capsule de cyanure dans sa molaire creuse, puis changea son uniforme en celui d’une femme de chambre avant de se diriger vers l’escalier qui reliait le toit au dernier étage du bâtiment tout en faisant disparaître son attirail.
…
Arrivée dans les couloirs du quatrième étage, la jeune fille guetta l’arrivée du chariot qui amènerait les victuailles commandées par les clients dans leurs chambres, et avec lui la femme de service. Celle ci arrivant au niveau de Morgana, elle lui demanda ce qu’elle faisait là tout en arrêtant un instant son engin. La jeune fille lui répondit qu’elle devait la remplacer au service puisque le directeur du personnel, dont elle avait repéré le nom quelques jours auparavant, avait demandé à la voir personnellement.
La femme de chambre rosit imperceptiblement et replaça une mèche de cheveux derrière son oreille avant de laisser le chariot à l’abandon en courrant vers un rendez-vous inventé de toutes pièces, et qui laissait à Morgana tout le temps dont elle avait besoin, entre celui qu’il fallait à la femme pour arriver au bureau qui était dans une petite maison de l’autre côté de la rue, celui qu’il faudrait pour que le directeur en question la laisse rentrer et celui qu’ils perdraient en explications inutiles. Du gâteau vous dis-je.
Une fois en possession du chariot, Morgana fit apparaître sa mallette noire, qu’elle déverrouilla rapidement pour en sortir plusieurs fioles étiquetées soigneusement, dont elle mélangea les contenus pour enfin imbiber les fruits que sa proie avait commandé et que sa jeune compagne ne mangerait point, étant allergique aux fraises.
Cela fait, la jeune fille fit disparaître sa mallette après l’avoir fermée à clef de nouveau, et utilisa un shiki « kagami » pour faire apparaître un double éphémère d’elle-même. Après avoir donné des ordres précis à l’illusion, elle changea sa tenue de femme de chambre pour son uniforme noir et se glissa sous le tissu qui masquait l’étage inférieur du chariot. Une fois installée, le miroir commença à pousser ledit chariot jusqu’à la chambre 428, nombre porte-bonheur de sa victime, et frappa à la porte pour signaler que la commande était prête.
Le président d’Izakaya and Co. ouvrit la porte et prit le chariot tout en donnant un pourboire généreux au double de Morgana, puis rentra dans sa chambre à peine éclairée tandis que Morgana sortait de sa cachette sans se faire voir et que son image disparaissait dans le couloir, le billet de 1000 yens tombant sur la moquette et faisant le bonheur du prochain passant.
…
Morgana sortit de l’hôtel par la voie où elle était entrée avec un sourire serein. Tout s’était déroulé selon son plan. Sa proie étant cardiaque de nature, les produits dont elle avait gorgé sa nourriture avait déréglé l’effet de ses médicaments et l’avait rendu plus sensible que jamais à une attaque. Attaque qui ne manqua pas de se produire alors qu’il atteignait l’orgasme avec la jeune Shinka. Celle-ci mit d’ailleurs un certain temps avant de se rendre compte que son client avait passé l’arme à gauche. A vrai dire, elle n’avait compris que quelque chose clochait qu’en se rendant compte qu’il n’enlevait pas son préservatif.
Morgana l’avait empêchée de donner l’alerte juste à temps en l’assommant sans laisser de trace, puis lui avait délicatement fait saisir un de ses kunais pour trancher la gorge de sa victime. Remportant l’arme du « crime » avec elle, la jeune ninja était tranquille quand aux risques qu’elle se fasse prendre. Un client habituel dont une jeune prostituée s’éprend et qui refuse de l’entreprendre plus longtemps fait souvent perdre la tête aux gamines des rues…
Se dirigeant vers le dojo d’un pas léger, Morgana savourait sa mission parfaite. Et sa part de revanche envers tout les hommes qui préféraient les gamines sans doutes…
Ven 21 Déc - 21:13
