Retrouvailles avec Tatami

À la sortie du vestiaire, wakisashi en main, elle croise le jeune Neko, son plus grand fan.

« Hey Noire ! »

« Salut Neko. »

« T’étais pas à Paris pour un mois ? »

« J’ai écourté mon séjour. Cette ville m’épuise, l’impression de vivre dans un monument. »

« Ha…ben j’suis drôlement content de te revoir. »

« Moi aussi Neko. »

Souriante, elle appuie sa main libre sur l’épaule du prépubère de 14 ans. Elle le dépasse pour franchir le seuil de la salle d’entraînement.

À l’intérieur, un petit groupe de novices répètent les mouvements du maître sur le tatami principal. Lou prend du champ, entamant son échauffement à bonne distance des confrères.

Estimant son corps conditionné, elle se saisit de ce fourreau noir aux élégantes lignes écarlates. Elle se raidit comme un piquet, les bras tendus, l’ébène vernis reflétant ses yeux acajou.

La clôture de ses paupières coïncide avec le son si caractéristique d’une arme blanche qu’on dégaine sèchement, métallique, électrique. La jeune femme rompt le tuteur qui semble bander son échine, ses membres se détendent et se contractent pour jouer le prélude d’un kata qu’elle maîtrise à la perfection. L’instrument, le wakisashi à lame de cinquante centimètres, est manié avec brio. Le style est très coulé, le geste rond et tendre, précis.

Ah Kyoto, il n’y a qu’ici qu’elle se sent vraiment Lou Magatsu, ailleurs elle est comme un point noir sur un nez luisant.

Voilà plus de quinze minutes qu’elle fait passer un mauvais quart d’heure à des ennemis invisibles. Bien qu’elle n’affiche aucun signe de fatigue, elle se fige soudainement.

« Oui maître Habaki ? »

L’autre, un léger sourire satisfait aux lèvres :

« Excellent. Imparfait, mais excellent. »

Ouvrant les yeux, Lou rengaine d’un geste mesuré. Elle fait volte-face et considère son interlocuteur, souriante.

« Tu es rentrée plus tôt que prévu. Tant mieux, j’ai hâte de voir si tu vaux vraiment ma lettre de recommandation. »

Décroisant les bras :

« À bientôt Noire. »

Comprenant aussitôt la portée de ces paroles, Lou lance à l’adresse du maître qui s’éloigne :

« Pas d’inquiétude, je suis digne de votre moustache ! »

Habaki, le pas tranquille, ne peut réprimer une moue interrogative qu’il transforme rapidement en sourire. Il sort à la suite de ses élèves.