[X][Initiation] Entre les arbres

Spoiler:

Quelqu'un avait osé.

Le tirer, lui, hors de son sommeil. Quelqu'un avait osé le forcer à venir sur la terre trois fois haïs des hommes qu'il détestait plus que tout. Quelqu'un l'avait invoqué. Et pitoyablement en plus, la voix faible, l'énergie branlante, si peu qu'il avait dû forcer lui-même l'incantation pour ne pas mourir entre son monde et celui des hommes.

Il détestait ça.

Il ouvrit les yeux, pour voir une jeune fille. Il était tellement grand par rapport à elle, près de cinq mètres de haut, qu'il la voyait mal. Alors il diminua sa taille lui-même, jusqu'à atteindre près de deux mètres.

"Insolente!" Rugit-il, dans cette voix que seuls les initiés savaient comprendre. C'était un cri qui n'avait rien de comparable au cri d'une bête, c'était grave, profond, ça prenait à la gorge, étouffait et ça faisait affreusement peur. C'était un langage inconnu et incompréhensible qui avait même fait fuir les oiseaux de la forêt, d'un seul mouvement.

Il fit un pas vers elle, s'habituant à son corps "terrestre", hurlant toute sa colère et sa rage d'avoir été convoqué par quelqu'un qui n'avait pas le sang pour le faire.

"La signature!" rugit-il, mais de façon compréhensible cette fois, "La signature!"

Pas de signature.

Les mots résonnaient dans sa tête bestiale et annihilaient ses sens. Euphorie totale, son sang (ou ce qui en lui se rapprochait le plus de cela) faisait des tours et des tours propulsé par son coeur qui, si un instant avait arrêté de battre sous la nouvelle, tambourinait maintenant comme un fou.

Pas de signature.

Alors, il pouvait la tuer. Il pouvait arracher sa tête de son corps et se promener avec, plantée sur son arme. Il pouvait lui trancher un bras sans craindre que le sien, son bras sacré, disparaisse aussi. Il n'y avait pas de réciprocité s'il n'y avait pas de signature. Il n'y avait pas d'allégeance s'il n'y avait pas de sang, s'il n'y avait pas de sacrifice. Il n'était pas son esclave. Ici, sur la terre des monstres, lui, était le maître de tout comme il l'était chez lui.

Il la regarda et fit ce qui devait s'apparenter à un sourire mauvais, mais il n'avait pas les dents d'un lapin, il avait les crocs d'un fauve. Il posa une main, pourvue de trois doigts griffus, sur sa hanche, près de son arme, et s'avança, accompagné par le cliquetis de ses grigris.

Et puis, il y eut la question. Son nom.

Il s'arêtta d'un seul coup, comme frapper par la stupeur.

Elle ne connaissait pas son nom. C'était encore mieux que prévu. Si elle l'avait connu, elle aurait eu un impact sur lui. Elle aurait pu le considérer comme un égal et le voir s'il disparaissait dans le vent comme il savait le faire, car elle l'aurait connu. En le nommant, elle lui aurait donné une réalité plus vivace, mais elle aurait aussi eu un moyen de pression. Son nom secret, caché, jamais révélé et donné par le plus grand de tous les maîtres. Il le chérissait, il était la source de toute sa vie, de tout son pouvoir. Comme pour n'importe quel être, son nom était la révélation de son moi caché, et il ne le donnait jamais.

Connaître le nom d'une invocation était chez eux comme le marquer au fer rouge. Une créature qui connaissait le nom d'une autre avait sur elle l'emprise d'un maître sur un esclave. Les sortilèges les plus puissants, les sortilèges de marquage d'âme (ou le rituel d'invocation chez les humains) notamment, dépendait toujours d'un ingrédient à la puissance magique unique: le nom.

Un air outré passa sur son visage.

Elle osait lui demander son nom. Les humains n'en avaient jamais compris la signification et la puissance, en cela ils étaient inférieurs. Leurs magies étaient faibles, aussi faibles que ces choses sans conscience à l'apparence animale qui lui servaient parfois de repas. Les humains donnaient leurs noms à qui voulaient l'entendre, ils les faisaient rouler entre leurs dents et sortirent par leurs bouches. Heureusement pour eux, la magie des invocations ne pouvait pas puiser en ces noms humains. Ils n'avaient aucunes magies car depuis leurs enfances, ils avaient été montrés au monde entier.

Leurs noms n'étaient riens que des bijoux superflus. Pour Lui, son nom était son âme.

" Mon nom ? Tu oses me demander mon nom, humaine ? Comme une créature aussi insignifiante et faible que toi a-t-elle le courage de me demander mon nom ? " Il s'avança et se baissa, pour parler à quelques centimètres de son visage.

" Tu devrais t'agenouiller et prier pour ma clémence ! "

Il parlait toujours près de son visage, en faisant volontairement l'effort de découvrir ses crocs, ce qu'il trouvait trop bestial pour quelqu'un d'aussi raffiné que lui. Il allait répondre à sa question, comme n'importe quelle personne de son rang aurait répondu, avec ce discours qu'ils aimaient tant.

"Je suis le maître du vent, je suis le vif-comme-la-mort, je suis l'enfant du ciel violacé et de la terre rouge, je suis le créateur de toute vie en mon royaume dont je suis le seul et impitoyable seigneur. En ma présence, le temps s'arrête par peur de mon courroux, la nature flétrie si je le souhaite et les dieux eux-mêmes sont mes esclaves. J'étais à l'origine et je serais à la fin, loin des racailles démoniaques, mais près de nos soeurs les chimères, tremble en ma présence humaine, car tu as devant toi l'un des Seigneurs Sans Coeurs, Maître du monde animale. Voilà ce que je suis !! "

Il rugit un peu, toujours près de sa tête, histoire de marquer le coup. C'est à ce moment-là qu'il se rendit compte qu'elle tenait dans ses mains un rouleau d'invocation. Il ne lui fallu pas trois heures pour jeter sa main vers le rouleau et s'en saisir. A côté de son poignet, ses doigts paraissaient énormes.

Il tira d'un coup sec, en tenant le rouleau bien serré. Il lui avait littéralement arraché des mains.

"Alors, c'est ça hein. Voyons voir qui tu aurais du faire venir."

Il le déroula entre ses mains, reniflant de son énorme museau les odeurs des différentes signatures, toutes faîtes avec du sang.

"Et si je le conviais et que je le tuais ?"

La réciprocité ne la ferai sans doute pas mourir, mais souffrir affreusement. Il eut un rictus sur son visage animal.

Et à ses mots, il se mit à rire, pris d’une hilarité profonde. Là, franchement, ça devenait gros. Plus que gros, énorme même. Faire mourir une incantation dans le monde des humains ? Comme si cela était même possible.

Sur la terre maudite des humains, ils n’étaient qu’âme et une âme ne peut pas mourir. Les blessures s'accumulent et se souffrent une fois que l'âme a regagnée son corps. C’était bien pour ça que la réciprocité existait, pour ne pas qu’une fois revenue dans leurs corps, les invocations souffrent des blessures reçues sur Terre à cause des humains. Non, non, le sortilège de marquage d’âme, le « rituel d’invocation », était à la faveur des créatures puisque de douleurs, elles ne ramenaient jamais rien dans le Vrai Monde, à la différence des humains, qui étant dans leurs mondes, souffraient véritablement.

Mais ça, les humains comme elle ne pouvaient pas le savoir.

Seuls certains Legentis, ces humains qui savaient parler le langage des Invocations, arrivaient à déchiffrer, parfois, les sortilèges de marquage d’âme, les décortiquer et se rendre compte que la réciprocité était imposée aux humains, ce n’était pas une résultante de l’invocation. Et ça remettaient complètement en cause leurs point de vue sur les invocations. Elles n’étaient plus les esclaves qu’ils faisaient venir sur Terre pour eux, ce n’étaient pas des compagnons. C’était des créatures qui se moquaient d’eux, puisqu’elles avaient inventés un sortilège pour qu’eux seuls souffrent.

Après ça, qui contrôlait qui ?

Enfin, toujours était-il qu’elle ne connaissait rien des véritables buts de la réciprocité, ni même l’existence de celle-ci. Sinon, elle aurait su. Oui et elle se serait mise à suer la peur. Alors, il allait lui apprendre.

Il referma le rouleau, qu’il glissa dans la poche de son pantalon. Et d’un coup, il rugit un nom dans cette langue incompréhensible qu’il avait employé à son arrivée sur Terre. L’invocation d’une invocation par une invocation était un procédé presque impossible à réaliser pour une invocation de bas niveau, mais lui était un Seigneur Animal.

Le vent souffla violement et soudain, il était là. C’était un très grand cygne, bien plus grand que le cygne classique qu’invoquaient les humains débutants. Ce n’était pas un Seigneur, c’était un sous-fifre, mais il était toujours plus imposant et plus puissant que la plus part de ces congénères.

Il parut surpris, regardant à droite et à gauche. L’humaine, l’animale. Il ne choisit pas longtemps, il baissa son coup gracieux devant le Seigneur qui sortait son épée.

Dans son esprit se bousculait les paroles de l’animale. Selon les humains, les invocations mineures ne parlaient pas. Les idiots ! Elles parlaient, mais ils ne pouvaient pas les entendre, ni les comprendre. « Maître. Honoré. Vouloir ? » C’était désordonné, basique, sans construction, mais leur intelligence n’était pas élevée.

Il s’adressa à l’humaine:
« Tu t’imagines sans doute qu’il est à toi ? Qu’il est ton esclave ? Ou un compagnon ? Alors souffre de ton audace ! »

Cela apprendrait à l’humaine la réciprocité (qui était d'ailleurs minime quand il s'agissait d'animaux, la réciprocité avec un démon était encore plus insuportable, plus longue et plus dangeureuse -allant parfois jusqu'à la perte de membres pour l'humain), elle allait souffrir comme jamais elle n’avait souffert, elle allait sentir l’enfer s’approcher sur elle, par une mer de douleur, qui reviendrait toujours à l’assaut, par vague. C’était la douleur, la vraie. Ca l’amusait déjà, rien que d’y penser.

D’un coup d’épée, il trancha la tête de l’animal, qui roula mollement sur l’herbe verte, avec une gerbe de sang, qui n’était pas rouge, mais gris. Lui, il sourit, savourant la douleur infinie de l’humaine.

[ Encore une réponse d'Arsenic, puis de Kun'tou et l'initiation sera terminée ! ]

Il renifla de dégout, de dédain aussi en la voyant pleurer, ou plutôt, en la sentant – car son nez, au contraire de sa vue, était extrêmement développé.

D’un geste ample, il rentra l’épée dans son fourreau, dans un cliquetis. Puis il s’avança vers la tête du cygne qu’il attrapa et souleva. Bientôt, elle disparaîtrait, ce faux corps ne durait pas plus d’une dizaine de minute sans âme pour l’habiter.

« Que le châtiment inscrive en lettre de sang dans ton esprit de ne plus déranger un seigneur. »

Il jeta mollement la tête qui roula par terre, avec quelques rebonds, pour s’écraser au pied de l’humaine, à qui il jeta un regard méprisant.

« Je n’ai plus de temps à perdre, maintenant. » Il découvrit un peu ses crocs. « Quoique je pourrais en invoquer un autre, ça serait drôle. »

Il ricana un instant, puis, soudain très droit, il prononça quelques mots dans sa langue maternelle et incompréhensible. Une aura magique se fit sentit et elle secoua l’herbe et les feuilles. Puis, il y eu un « Bang » retentissant, un peu de fumé, et plus rien.

Plus d’invocation en tout cas.

[ Initiation terminée !!!! ]