[X][Initiation] Cherchant une place libre

Spoiler:

12h
Cela faisait une heure que le réfectoire était ouvert pour le repas du midi et Tako se maudissait d’avoir pris tant de temps dans sa mission et d’être arrivé en retard d’une heure.

Ce n’est pas comme si on allait manquer de nourriture, mais surtout, il aurait aimé s’assoir à une table seule. Il aimait bien la compagnie, mais quand on revient au dojo après un stage à Honshu d’un mois qui s’était terminé en boucherie, on aimait mieux manger seul.

Il esquiva le regard des élèves de niveau plus élevé qui le connaissait quand il entra, s’approchant directement de la nourriture. Il se servit un grand bol de riz blanc, il ne mangerait que ça aujourd’hui, puis regarda autours de lui.

Il ne trouva qu’une table vide, un peu éloignée des autres. Enfin, vide était un grand mot, il y avait un autre garçon. Un jeune à l’air perdu, sans doute un novice. Tant mieux, s’il lui faisait peur avec ses tatouages et ses gros bras, il mangerait en paix.

Tenant son bol d’une main, il s’avança sans faire attention à ceux qui le regardaient. Lorsqu’il arrive à la table occupée, il jeta un coup d’œil à l’adolescent et s’assit le plus loin possible de lui.

Paisiblement assis, le regard fixe et vide, Kiyoshi paraissait étudier le contenu de son bol de soupe miso avec extrême concentration. Son petit plateau, copieusement fourni d’aliments désormais froids, était à peine entamé.
Le jeune garçon s’était hâté afin d’être présent dès l’ouverture du réfectoire, témoignant comme à son habitude d’une grande ponctualité. D’abord surpris par le flot et les vives allées et venues des élèves, Kiyoshi avait prit parti d’imiter l’un d’entre eux, et s’était approximativement servi le triple de ce qu’il avalait d’ordinaire. Solitaire et soupirant à sa table, il avait suivi trop loin le fil de ses pensées, et s’était égaré, la tête baissée comme s’il s’apprêtait à se noyer dans le mélange de pâte d’haricot fermentée et de bouillon aux algues.

L’arrivée tardive d’un nouveau-venu à sa table, agit pour le garçon comme un déclencheur. Arraché à sa réflexion, il cilla de nombreuses fois et releva légèrement la tête afin de guigner d’un coup d’œil furtif l’élève qui s’était installé. Kiyoshi baissa une nouvelle fois très vite les yeux, réfrénant le sursaut d’effroi que cette vision lui procura. Se saisissant de ses baguettes, il picora quelques morceaux de poulet froid et tâcha d’ignorer l’étrange personnage.
Sans qu’il ne le veuille, les tatouages colorés de son compagnon de table l’attiraient, se cachant derrière la lente mastication d’un beignet de crevette afin d’observer et d’assouvir sa curiosité.
Songeant finalement à son impolitesse, il cessa de l’observer, et comme le recommandait son éducation huppée, attrapa le pichet d’eau afin de servir le tatoué avant d’en faire usage pour soi-même. Il n’osa plus le regarder après cela, et s’attaqua aux diverses portions de sa nourriture qu’il n’avait absolument aucune chance de finir.

S’il se forçait au silence, ses pensées, elles, étaient en ébullition. Aurait-il l’occasion de souvent croiser énergumènes de ce genre ? Ou pire, lui ressemblerait-il après plusieurs années ? Kiyoshi s'arrêta soudainement de manger, s’imaginant avec de lourds tatouages s’étendant sur la peau claire de ses deux bras. Il réfréna péniblement une grimace, et fit un sort aux légumes sautés.
Maintenant qu’il y songeait, il s’était attendu à plus spartiate en matière de nourriture, hors, le cuisinier – bien qu’affreusement terrifiant selon les quelques rumeurs ayant remontées jusqu’à ses oreilles – était plutôt doué. Cependant, au vu de la nature du travail que l’on confiait aux élèves, Kiyoshi se demandait si l’on gardait encore quelques appétits…
Bah, tous n’étaient pas de petites natures de son genre, se morigéna t-il.

Le jeune élève souleva précautionneusement son bol de soupe, et entreprit de lui faire un sort.

Il avala son bol de riz tranquillement, sans se presser. C’était bon, même s’il avait goûté mieux. Enfin, ça faisait disparaître le gout du sang dans sa bouche, lorsqu’il s’était fait frapper tout à l’heure et, ça, c’était forcément inestimable.

Au fond, il n’avait pas très faim. Il reposa son bol, juste pour voir le garçon à côté lui servir de l’eau. Il haussa un sourcil, interrogateur, mais hocha quand même la tête, en guise de remerciement silencieux.

Tako attrapa le verre dans sa grosse poigne et l’approcha à ses lèvres, mais il n’en bu pas tout de suite. C’était un réflexe qu’on prenait vite, on ne savait jamais ce qu’il pouvait y avoir dedans. Même si, en théorie, le cuisinier ne lui voulait pas de mal et l’élève à côté non plus.

Il prit une petite gorgée, gardant l’eau dans sa bouche un instant, puis bu comme s’il n’avait pas bu depuis plusieurs jours. Et il recommença à manger, calmement, sans se presser.

C’est là qu’il sentit l’énergie magique se dégager d’à côté de lui et il tourna la tête, les sourcils froncés. Même si ce n’était pas sa discipline de prédilection, il préférait largement se battre à main nue, il savait sentir et arrivait parfois à utiliser la magie.

« Mais t’essayes de faire quoi là ? » grogna-t-il à l’adresse du garçon, avec une voix grave.

En le fixant, il avala quelques grains de riz. Tiens, plus rien, il avait peut-être faim en fait. Il ne lui fallu pas trois heures pour se rendre compte que son voisin, lui, avait à manger. Alors, en le pointant des baguettes, il dit :

« Et tu le manges, ça ? »

Tako, bien que japonais pur souche, fils de pécheur et de femme au foyer, avait longtemps vécu aux Etats-Unis et oublier toutes les subtilités de la politesse nippone.

Alors qu’il buvait sa soupe de miso, les lèvres effleurant la surface en grés de son bol avec tout le raffinement que pouvait octroyer quinze années d’éducation distinguée, le grondement rauque qu’était la voix de son compagnon de tablée fit exploser la mince surface vernie de son calme et fit jaillir de toute son ampleur sa nervosité. Kiyoshi avala une généreuse rasade de travers en sursautant comme si la foudre venait de le frapper. Le jeune garçon déposa en catastrophe le bol sur son plateau, ne manquant pas d’éclabousser les autres plats emmagasinés et se mit en tousser en projetant un regard apeuré vers le tatoué.
Les yeux larmoyants, son esprit vif s’empressa de guetter la source du mécontentement du personnage tandis qu’il s’efforçait de respirer, puis de balbutier.

« Ce que j’essaie de f… ? »

Les épaules tremblantes, il chercha ce qu’il avait bien pu faire pour indisposer le tatoué, puis observa son bol de soupe.
Traditionnellement, la soupe de miso était servie en fin de repas, Kiyoshi pensait que ce devait être en quelque sorte la dernière chose que l’on avalait avant de quitter la table, et lui, venait de se faire prendre a déguster la sienne en plein milieu du repas ! Anxieux, il s’apprêta à présenter ses excuses pour son manque de rigueur, et vit, offusqué, les deux baguettes que le tatoué pointaient sur lui. Ce qui comme le savaient même les enfants, était censément bien mal élevé. Sa réflexion sautant sur le fait qu’une personne ignorante de la conduite qu’il convenait de tenir à table ne pouvait aucunement s’apercevoir d’un détail tel la place du miso dans un repas, le jeune garçon fut discrètement soulagé de sa tension nerveuse.
Les sourcils froncés, Kiyoshi à présent dévisageait avec curiosité le personnage, avant de s’illuminer d’un grand sourire lorsque celui-ci lui quémanda un peu du trop plein de nourriture qu’il possédait.

« Non, dit-il joyeusement. Je vous en prie, servez-vous !
J’ai eu la main un peu leste sur le service… » Ajouta t-il d’un murmure.

Se gardant bien à présent de toucher à sa soupe de miso, Kiyoshi fit glisser vers le bord du plateau, le bon trois-quart de ce qu’il y conservait, se contentant pour sa part de terminer ses légumes en évitant consciencieusement les poivrons.
Avec bien moins de frayeur, il s’autorisa de même à plus longuement observer les traits de l’élève. Le jeune garçon avait escompté qu’ils n’avaient guère plus de cinq années de différence à son arrivée, alors qu’à présent qu’il y prêtait attention, il remarquait le discret passage des ans sur le visage du tatoué.
Kiyoshi nota mentalement qu’il était en fait bien plus vieux que lui, tout en l’épiant de toute sa discrétion.

Novice.

C’en était forcément un, il ne faisait pas attention à l’énergie magique en lui, il ne cachait pas non plus les vapeurs d’anxiété qui émanaient de son corps.

Novice.

C’était vraiment son jour. Une mission où il avait essuyé un coup au visage, puis se retrouvait obligé de manger avec quelqu’un qui s’avérait être un novice. Si ça continuait comme ça, il irait voir Ogata et lui demanderait un mois de congé au près de sa femme et ses enfants (car à la différence de beaucoup des membres du dojo, Tako avait une famille qui vivait dans un certain confort grâce à l’argent qu’il percevait de ses contrats [1]).

Il reprit conscience de la réalité lorsque le garçon lui tendit le plateau. A la vue des plats, son estomac se tortilla, provoquant une drôle de sensation dans son ventre. Du dédain dans les yeux, il fixa un instant son bol de riz blanc maintenant vide. Quelle étrange idée lui était passé par la tête quand il avait choisit ça ?

Il roula des yeux pour lui-même et tendit la main vers un des plats, qu’il commença à manger, comme un ogre. Et tout aurait pu se terminer comme ça si Tako n’avait pas sentit sur lui les yeux de son voisin de table. Alors, en continuant de manger, il releva les yeux vers lui.

« Quoi ? » dit-il. « J’ai du riz sur le visage pour qu’tu m’regardes comme ça ? »

[1: Parce que j'ai envie de le dire: Il fait croire à sa famille qu'il travaille avec son père dans l'import-export, d'où les absences. ]

Kiyoshi cligna des yeux. Embarrassé par la question, il se mordit légèrement la lèvre, puis consentit à acquiescer. A manger si vite et avec un tel appétit, ce n’était pas étonnant qu’il s’en barbouille le visage.
Le jeune garçon murmura un discret « Oui » puis détourna poliment la tête. Le tatoué lui semblait légèrement irritable, peut-être était-il plus sage de le laisser en paix.
Kiyoshi jugeait d’ailleurs comme parfaitement acceptable ce premier contact avec un autre élève, quand bien même celui-ci paraissait à bien des égards : très différent de sa propre personne.

L’index porté à ses lèvres, comme à chaque fois qu’il réfléchissait, Kiyoshi se demandait s’il était… dégradant d’avoir à partager la table d’un novice. L’élève studieux qu’il était s’était empressé de lire et de parcourir les registres du dojo qu’on lui présentât au moment de la signature, et s’entêta à parfaitement mémoriser les règlements par la suite. Vu l’âge de son compagnon de table, son air ou son allure, il était évident qu’ils n’étaient pas dans la même situation.
Alors, peut-être que oui… c’était un brin dégradant…
Kiyoshi baissa la tête, un léger sourire fleurissant sous son doigt. C’était l’une des choses auxquelles il lui faudrait prendre habitude, et s’arma donc de courage dans cet optique.

Evitant de plus observer le personnage par crainte de le contrarier une nouvelle fois, le jeune garçon acheva finalement sa soupe de miso d’un cul-sec, puis reposant le bol, songea a vider les lieux.
Il était là depuis un moment déjà, et bien que n ‘ayant encore réellement conscience de ce qu’on attendait exactement qu’il fasse de ses journées, il se doutait qu’il ferait mieux de se bouger un peu.

L’hésitation le clouant sur place, Kiyoshi se résigna a attendre que la tatoué en ait fini avec les plats qu’il avait mis à sa disposition, avant de débarrasser et de s’en aller.
Peut-être ne verrait-on inconvénient à ce qu’il visite un peu le dojo, le temps de prendre ses marques ? Il n’avait fait depuis sa récente arrivée, que transiter entre sa chambre et le réfectoire, évitant avec timidité le contact des autres élèves, qui pour le moment le lui rendaient bien.

Distrait, il se servit à nouveau un peu d’eau, en prenant machinalement soin d’en faire de même pour l’autre personne présente à table, puis bulla lentement dans le récipient. Le vidant à petites gorgées.

Un peu embarrassé il faut le dire, Tako passa précipitamment sa main sur son visage pour en enlever les grains de riz rebelles, en faisant une drôle de grimace. Quand il se fut assurer que plus rien ne polluait son magnifique visage (ah ah), il recommença à manger.

Trop occuper à manger, il ne s’occupa pas du garçon jusqu’à ce que celui-ci lui réserve de l’eau. Et à nouveau même manège, Tako prit le verre qu’il ne porta pas tout de suite à ses lèvres. Puis, il le but d’un coup. Du coin de l’œil, il regarda son voisin qui buvait lui gorgée par gorgée, l’air ailleurs.

Il faisait quoi là ? Peut-être qu’il s’entrainait à détecter les poisons, mais c’était ridicule c’était de l’eau claire, peut-être même de l’eau du robinet – c’est pas comme si le dojo payait de l’eau de source à ses élèves. Non, son attitude étrange n’avait strictement aucun sens et ça le dérangeait beaucoup.

Les originaux, les rêveurs, il n’arrivait jamais à les comprendre. Alors, un sourcil levé, du genre , il dit : « T’es vraiment bizarre, toi. C’est écrit sur ta tête que t’es un nouveau, en plus. »

D’une main, il poussa les plats vers le garçon : « Les nouveaux sont sensés débarrasser les tables de leurs aînés. »

C’était un gros mensonge, il n’avait simplement pas envie de le faire lui-même.

Kiyoshi déposa finalement son verre, tournant un regard entre surpris et embarrassé au tatoué. Qu’il était récemment arrivé, il n’avait pas la moindre raison de la cacher de toute façon. Quant à sa bizarrerie… il ne pouvait pas y faire grand chose.
Pensant une réponse malvenue et les commentaires du personnage lui signifiant qu’il avait fini de manger, le jeune garçon eut un sourire, et récupéra sur son plateau les plats consommés. Cela ne le dérangeait pas outre-mesure de devoir débarrasser ce qu’il avait pour la plupart, lui-même apporté, et ajouta sans rechigner le bol de riz supplémentaire du tatoué.

« Bien. Bonne journée. » Dit-il en inclinant la tête et en trottinant afin de déposer les plats à l’endroit prescrit. Chose faite, et coulant un regard interrogateur vers son ex-voisin de tablée, Kiyoshi médita sur son comportement.
Paraissait-il vraiment si… étrange ? Un peu contemplatif peut-être, cela il ne l’ignorait pas. Déplacé aussi dans un environnement comme celui-là… On devinait au premier coup d’œil qu’il n’avait ni l’attitude, ni la carrure d’un ninja…
Mais cela ne risquait pas de changer du jour au lendemain.

Un mince sourire qu’il se força a modeler sur son visage, il quitta le réfectoire en prenant garde à ne bousculer personne.
Ses mains croisées sous son menton alors qu’il s’en allait tout en réfléchissant, Kiyoshi se demandait ce que le dojo lui réserverait dans les jours à venir…

En voyant le garçon prendre les plats, il retint un sourire qu’il laissa éclater dès qu’il eu le dos tourné. Il l’avait vraiment fait ! Il aurait au moins pu supposer que c’était faux.

Enfin, tant mieux, c’était toujours ça de gagner.

Il s’étira, requinqué, se leva et quitta le réfectoire en frottant un instant son crane rasé.

[ Bravo ! Initiation terminée !
Tu as le droit de poster RP, maintenant !]

-Je ferme le topic car il n’attend aucune réponse…